Colloque international - MIGRINTER a 40 ans
17-19 juin 2025 POITIERS (France)

Colloque des 40 ans de Migrinter

La structuration de la recherche et la transmission des connaissances sur les migrations internationales ont considérablement évolué au cours de ces vingt dernières années et se manifestent aujourd’hui de diverses manières au sein d’institutions et d’organisations (IMISCOE, Institut Convergences Migrations, programmes nationaux et internationaux consacrés spécifiquement à cette thématique, Migreurop, Observatoire de la Migration des Mineurs, etc.). Relativement précoces en France, les recherches sur les migrations internationales sont désormais « mondialisées ». Si Migrinter est un des incubateurs de cette dynamique depuis plus de quarante ans (Dubus, Ma Mung et Miranda, 2024), les actions collectives de la recherche sur les migrations s’appuient aujourd’hui sur un grand nombre de réseaux. L’émergence de laboratoires spécialisés sur ce thème, ou ceux prenant en compte ces questions dans leur projet, a aussi donné lieu à de nombreuses rencontres scientifiques, institutionnelles et/ou associatives, au développement de programmes de recherche, de formations et de revues dédiées à l’étude des processus migratoires.

Au cours des quatre dernières décennies, Migrinter, en synergie avec ces partenaires, a ainsi exploré des champs de recherche variés : circulations, diasporas, géodynamique des flux migratoires et leur place dans la mondialisation et les espaces locaux, catégorisations par les politiques migratoires, frontières et frontièrisation, ressources individuelles et collectives dans la migration, transmission des savoir-faire par des réseaux sociaux. Plus particulièrement, Migrinter s’est penché sur la dimension spatiale des processus migratoires, notamment sur les parcours, l’habitat et l’encampement des exilés, sur les effets de la migration au sein des espaces urbains et ceux de faible densité, sur les représentations des migrations (Ma Mung, Hily, Scioldo-Zürcher, 2019 ; Daghmi et al., 2020) ; soit autant de domaines qui ont permis de continuer à appréhender la complexité sociale et spatiale des migrations internationales.

La transmission des savoirs scientifiques et académiques sur les migrations ne peut s’envisager aujourd’hui sans une pluralité d’acteurs de la recherche, du monde socio-économique et de la société civile. Ainsi, une réflexion sur les manières de faire de la recherche et de la restituer doit être menée au regard des circulations des connaissances. Elle invite également à penser la question des « transmissions en migration », c’est-à-dire tout ce qui se transfère entre les différents groupes de la société (migrants/descendants de migrants/personnes non migrantes) et ce à différentes échelles. Quels sont les legs et les coupures d’un point de vue familial et intergénérationnel, d’un groupe migrant à l’autre, d’une pratique institutionnelle à l’autre ? Il s’agira ainsi d’interroger les pratiques et les usages, ainsi que les finalités dans la transmission des formes politiques, économiques, culturelles et sociales dans les « mondes migrants ». Nous proposons d’articuler cette réflexion autour de trois axes :

Circulations et transmissions

Les études migratoires sont unanimes sur le caractère inégalitaire des possibilités de se déplacer selon les personnes (Owen, 2019 ; Schmoll, 2020 ; Migreurop, 2022). Cette inégalité dans la circulation peut être interrogée depuis des échelles et des points de vue différents. Il s’agira tout d’abord de porter une attention particulière aux dimensions spatiales de la production d’inégalités des circulations. Comment les rapports de domination inhérents aux contextes locaux, régionaux ou internationaux impactent-ils le déplacement ? Et notamment, comment les formes de catégorisations institutionnelles réagencent-elles les parcours et les routes migratoires ? Comment certains lieux portent-ils en eux la trace de ces rapports de domination (camps, quartiers, frontières) et comment s’y est opérée la transmission – ou non – de la mémoire ?

Nous proposons ensuite d’étudier ces inégalités par les différents processus de transmissions et l’agentivité qui en découle. Des propositions attentives aux temporalités dans la migration sont attendues, soit par le prisme du « temps de la famille » (Imbert, Lelièvre et Lessault, 2018), considérant l’enjeu des approches des générations successives (Delcroix, Le Gall et Pape, 2022 ; Rosental, 2024) pour mieux comprendre les dynamiques migratoires et leur inscription dans les espaces ainsi que dans leurs rapports aux lieux (vie quotidienne, vacances, festivités, travail) ; soit par le « temps des territoires », plus précisément par le rôle des contextes, et de la mémoire des migrations dans les installations et les présences des populations migrantes. Il s’agira d’historiciser et de localiser les formes de transmission. Comment les transmissions se structurent-elles à travers les temps individuels et collectifs ? En quoi les contextes sociaux, culturels, religieux, dans leur construction et leur continuité diachronique, contribuent-ils (ou ont-ils contribué) à la fabrique ou à l’abandon d’ancrages individuels et collectifs ? La perspective du temps long est ici sollicitée pour comprendre, d’une part, les dynamiques attractives et/ou répulsives des territoires quant à l’installation des personnes migrantes et, d’autre part, l’épaisseur historique des processus migratoires actuels. De quelle manière les circulations se sédimentent-elles et se superposent-elles ?

Transmissions de normes sociales et juridiques

Les propositions s’inscrivant dans le second axe pourront suivre deux orientations : les processus relatifs aux normes sociales et ceux relatifs aux normes juridiques.

Avec les migrations, les rapports sociaux sont parfois bousculés. Ils sont en partie produits par des catégories de race, classe et genre (Collet et Santelli, 2012 ; Fillod-Chabaud et Odasso, 2020 ; Rosental, 2024), des enjeux de domination (Martiniello et Simon, 2005). Les normes sociales évoluent par rapport aux sociétés d’origine ou à celles connues auparavant, mais aussi au regard de la coprésence dans les sociétés d’arrivée. Selon les parcours migratoires d’hier et d’aujourd’hui, il convient de s’interroger sur les manières dont les personnes transmettent des situations normées. De quelle façon les personnes cherchent-elles à échapper à ces règles ? À l’inverse, dans quelle mesure les personnes maintiennent-elles des horizons normatifs qui sont stigmatisés dans le pays d’installation ? Comment des « familles déplacées » (Sayad, 1999) et/ou des « parentés mutilées » (Barou, 1991) redonnent-elles du sens à des vies fragilisées ? De quelles manières ces évolutions normatives transforment-elles les sociétés traversées ? Il s’agira ainsi d’approfondir les dynamiques de classe/genre/race pour saisir les façons dont les rapports sociaux sont construits/négociés dans les situations de transmission et les ajustements qui s’opèrent entre générations, entre hommes et femmes.

En partant de situations individuelles, des analyses des migrations « par le bas », il est aussi intéressant d’analyser le rôle des législations dans la construction des liens conjugaux et familiaux et des relations sociales en général, et la manière dont ces politiques et leurs effets sont transmis. Dans leur nouvel environnement, les personnes sont en effet confrontées à des changements de statut juridique, de catégories administratives. Comment l’évolution des politiques migratoires affecte-t-elle alors la vie des acteurs ?

Au prisme de diverses disciplines (sciences politiques, droit, sociologie, géographie, histoire), il s’agit également de questionner les façons dont les différents acteurs interviennent dans la production de normes politiques et juridiques. Par exemple, dans les pays en conflit ou les zones en tension, certains acteurs n’appliquent pas les conventions internationales relatives aux déplacements des populations et créent leurs propres catégories normatives à l’image des autorités kurdes ou européennes qui ont respectivement mis en place — et selon des méthodes propres à chacune — des camps d’identification des personnes. Peut-on voir des liens, des formes de transmission, dans l’évolution des législations et des dispositifs mis en place tant par les pays de départ, de transit que d’arrivée ? Ces divers modes de gestion normative des migrations, reproduisant parfois des relations de (contre)pouvoir et des tensions Nord-Sud, sont-ils au centre d’enjeux géopolitiques ? De quelles manières et à quelles échelles la diffusion de connaissances sur les politiques migratoires s’opère-t-elle ? Quel est le rôle des grands organismes internationaux et des entreprises privées dans les développements technocratiques de la gestion des migrations ? Comment les connaissances et les savoir-faire institutionnels issus du contrôle migratoire circulent-ils entre les acteurs de la gestion des migrations ? Et face à ces processus, quels sont aussi les enjeux normatifs en relation avec les différentes mobilisations citoyennes ?

Transmission des représentations migratoires

Les systèmes migratoires ont considérablement évolué depuis les années 1980, alors que leurs modes de représentation – visuels notamment – se transformaient. Avec les évolutions techniques, et notamment la généralisation des réseaux numériques, leur représentation spatiale et sociale s’est amplifiée et a pris différentes formes. Les sciences sociales, les associations, les organisations internationales, les institutions liées aux États, les artistes voire les migrants eux-mêmes usent de cartes, graphiques, dessins, photographies, films de fiction, documentaires ou spectacles, pour construire leur propre représentation de l’expérience migratoire. En conséquence, depuis le début des années 2000, on assiste à une augmentation quasi exponentielle du nombre de ces créations. Comment circulent-elles ? Quelles nouvelles perceptions transmettent-elles ?

Si la géomatique, la cartographie, le dessin, les arts interviennent comme des moments de restitution, ils sont également des outils de production du savoir (Migreurop, 2022). Par exemple, avec les sciences participatives (Sciences Avec et Pour la Société), les pratiques associant les différents acteurs évoqués ci-dessus en arrivent à présenter des aspects novateurs et originaux. Il convient néanmoins de se demander si ces représentations offrent de réelles alternatives à la compréhension des migrations internationales permettant d’interroger le rôle des États, des différents acteurs au sein de la société, des identités individuelles ou collectives. Comment participent-elles à la transmission des savoirs ?

Ces processus ouvrent ainsi une série de questions sur les limites et les avantages de la mise en représentation (Bacon, Clochard, Honoré et al., 2016) et sur les auteurs de ces productions. Sur le plan pédagogique, est-ce que ces représentations facilitent la compréhension des migrations ? Quels enjeux médiatiques et politiques se posent avec la diffusion et la circulation de ces différents supports ? Jusqu’où va-t-on dans la divulgation d’informations et quelles sont les questions éthiques que cela soulève ? Comment retranscrire les parcours migratoires, exposer et mettre à nu des histoires personnelles, parfois intimes et difficiles à mettre en mots ? En quoi les productions réalisées par les personnes migrantes elles-mêmes, participent-elles à la construction d’un récit ou d’un contre-récit sur les migrations ?

L’enjeu de cet axe est donc de comprendre pourquoi les acquis de nombreux travaux scientifiques, réalisés parfois en lien avec diverses institutions (associations, organismes internationaux, collectivités publiques, artistes), ne perfusent pas ou peu dans certaines sphères, notamment politiques. Il convient de questionner comment la transmission des connaissances scientifiques sur les migrations pourrait mieux s’opérer vers les milieux professionnels et politiques pour aller vers un accueil plus respectueux des personnes concernées.

Le colloque international « Migrations et transmissions » qui célèbrera le quarantième anniversaire de Migrinter ambitionne de croiser les différentes formes de production scientifique pluridisciplinaire et de nourrir un dialogue entre des scientifiques, des personnes d’environnements non scientifiques et de différents domaines professionnels, pour répondre aux défis de la recherche sur les migrations et sur ses modes de transmission.

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