Colloque international - MIGRINTER a 40 ans
17-19 juin 2025 POITIERS (France)

Ateliers > 9. Transmissions intergénérationnelles, interfamiliales, conjugales (2)

MERCREDI 18 JUIN 2025

16 h 00 - 18 h 00

Salle Gargantua (MSHS)

Atelier 9 : Transmissions intergénérationnelles, interfamiliales, conjugales (2)

modératrice : Mareme Niang Ndiaye

 

Trajectoires intergénérationnelles des familles migrantes en Suisse : entre héritage, émancipation et intégration sociale

Lirija Namani

Cette présentation s’appuie sur une recherche doctorale en cours, ancrée dans le contexte suisse, spécifiquement en Suisse romande. La Suisse, pays multiculturel par sa structure linguistique et culturelle (Mahnig, 2005 ; Piguet, 2017), est également marquée par un cadre juridique d’accès à la naturalisation qui relève du droit du sang. En outre, le paysage socioculturel suisse s’est construit à travers les diQérents flux migratoires, résultat de l’immigration ou l’émigration. Elle connaît effectivement en son sein une population étrangère, migratoire, réfugiée et sans-papier. En 2021, l'Office fédéral de la statistique dénombrait 2 millions de personnes de nationalité étrangère et environ 2,6 millions de résidant·es suisses comme étant né·es à l’étranger (Bartosik & Probst, 2022).

Cette communication examinera les catégories sociales liées aux statuts d’immigré·e et du statut d’étranger-ères à travers les générations, en lien avec les transformations administratives et au regard de la naturalisation. Ces statuts, marqueurs des trajectoires individuelles et collectives des premières générations d’immigré·es que les secondes générations racontent, révèlent un plafond de verre qui caractérise les expériences intrafamiliales éducatives, les choix professionnels individuels et collectifs. Nous montrerons la nécessité pour eux de rester discret·es face « nationaux » pour reprendre Sayad (1999), car « la présence immigrée est toujours une présence marquée d'incomplétude, présence fautive et coupable en elle-même » (Sayad, 1999, p.8). Un plafond de verre qui délimite la place de l’immigré·e et ses descendant·es, ses choix, ce qui est admis, de ce qui ne l’est pas, son comportement dans l’espace public, car « quand on est hors de chez soi, chez les autres, chez les hôtes, il faut savoir se tenir, bien se conduire, se comporter et se conduire comme l'exigent et comme l'enseignent les règles de bonne conduite des maîtres des lieux » (Sayad, 1999, p.9). Une rupture semble émerger avec la troisième génération, moins confrontée aux injonctions de discrétion et de conformité des générations précédentes. Protégée par la seconde génération qui redéfinit son identité sociale entre héritage, émancipation et revendication, au prix d’un accompagnement ciblé et d’une mobilisation stratégique des opportunités, souvent orientées vers des activités associées à l’ascension sociale, à l’intégration dans des sphères liées aux classes moyennes et supérieures, tout en préservant son bien-être.

Finalement, cette présentation vise à mettre en lumière les expériences que les secundos ont vécus et qui pourraient éclairer la vigilance dont ils·elles font preuve quant aux parcours individuels de leurs enfants. Pour mener à bien cette réflexion nous mobiliserons le matériau produit dans le cadre de notre thèse qui vise à présenter des trajectoires de familles issues de la migration établies en Suisse à partir de l’arrivée des primo-arrivant·es, les saisonnier·ères, arrivés en Suisse entre 1948 à 1962 et entre 1985 et 1999 – deux périodes durant le XXe siècle correspondent à un afflux migratoire important dans le cadre d’une migration de travail (Piguet, 2017). À travers une analyse de 41 entretiens biographiques menés au sein de 15 familles, cette étude explore les trajectoires scolaires et sociales de trois générations, dans le sens filial. Ces 41 entretiens biographiques menés auprès de trois générations au sein des 15 familles issues de la migration servent de point d’appui pour mener une analyse sur les trajectoires scolaires et sociales des secundos.

*Nous utilisons aussi les termes seconde génération et secundos de façon interchangeable.

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Les descendant·es des Italien·nes en France. Espaces généalogiques et élaboration d’une positionalité hégémonique.

Adelina Miranda

Cette communication a pour point de départ les données recueillies dans le cadre d’une post-enquête qualitative de Trajectoires et Origines 2 (TeO2) intitulée « Quand prend fin la migration ? Se penser ‘descendant.e d’immigré.e.s’ chez les originaires d’Europe du Sud ». Cette recherche, menée avec Irène Dos Santos et Evelyne Ribert entre 2021-2023, s’appuie sur les données de la grande enquête nationale et étudie la question de la descendance chez les personnes ayant des origines italiennes, espagnoles ou portugaises. Nous avons analysé ces trois configurations nationales du point de vue des générations afin de questionner comment les appartenances nationales et familiales peuvent, avec le temps, se diluer ou alimenter d’autres formes d’identification. La présence des Espagnols, Italiens et Portugais en France permet d’observer le phénomène migratoire sur la longue durée. Nous avons adopté une double dimension comparative : entre ces trois groups nationaux mais aussi en les confrontant à d’autres descendant·es d’immigré·e·s plus fréquemment exposé·es à la discrimination.

Dans cette intervention, je me concentrerai sur l’élaboration de la part des descendant·es d’Italien·nes d’un « espace généalogique », considéré comme un temps pensé, orienté et orientable, qui met en relation les rapports de parenté à travers une perception rétrospective reliant passé et avenir (Solinas 2003). L’espace généalogique se constitue comme une instance de (non)transmission de l’histoire migratoire, faite de continuités mais également de silences et d’omissions. En m’appuyant sur cette définition, je considère que les descendant·es d’Italien·nes reconstruisent un espace généalogique qui croise les temps de la parenté avec les temporalités migratoires, les lieux vécus/habités avec les lieux d’origine.

La communication s’articule autour de 4 parties. La première expose les dispositifs de recherche et les profils des sujets rencontrés. La deuxième retrace l’histoire des migrations italiennes en France et l’impact d’une vision nationale, à la fois sur la recherche et au niveau individuel. La troisième se focalise sur la manière dont les personnes élaborent leur filiation migratoire. La quatrième relie les reconstructions des espaces généalogiques des descendant·es d’Italien·nes à l’histoire des migrations en France. La manière dont ils donnent sens aux migrations de leurs ascendants est un élément fondamental dans l’élaboration de leur positionalité hégémonique dans l’espace migratoire français.

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Transformations des pratiques spatiales au prisme de la mobilité sociale et identitaire chez les personnes issues de l’immigration turque en France

Merve Özkaya

L'immigration de main-d'œuvre anatolienne en France dans les années 1960 est devenue plus familiale à partir des années 1970, à la faveur du regroupement familial instauré après la suspension de l'immigration de travail. Les familles turques, s'organisant en « îlots communautaires » (Petek, 2009 : 24), ont construit des réseaux familiaux et villageois visant à préserver leur identité et leur culture, tout en se prémunissant des influences de la société d'accueil (ce que Riva Kastoryano désigne comme un « traditionalisme de défense », Kastoryano, 1986 : 103). Avec l’entrée en vigueur en 1981 de la loi de 1901, qui permettait aux immigrés de créer des associations à but non lucratif, les réseaux familiaux turcs se sont progressivement étendus en réseaux associatifs, incluant des associations culturelles, souvent à caractère cultuel. Ces espaces communautaires se sont ainsi imposés comme des lieux privilégiés de socialisation et de solidarité pour les membres de la communauté turque en France.

On observe néanmoins une différenciation générationnelle dans le choix des espaces de sociabilité fréquentés. Les descendants issus de cette immigration tendent à privilégier des espaces qualifiés de « non-lieux » (Marc Augé, 1992) ou d’espaces « standards » (Michael Lussault, 2007), tels que les centres commerciaux, contrairement à leurs ascendants qui préfèrent des lieux à forte valeur identitaire, historique ou relationnelle, tels que les associations-mosquées, les épiceries, ou les cafés turcs. Ces transformations des pratiques spatiales reflètent des transformations générationnelles en matière d’identité et de rapport à l’espace. De plus, ces transformations ne se limitent pas aux espaces fréquentés en France, mais concerne également les pratiques spatiales en Turquie. En effet, les descendants d’immigrés turcs expriment souvent une curiosité pour d'autres espaces que les espaces d’origine de leurs parents ou grands-parents.

Nous proposons d’analyser les transformations de la mobilité, et plus largement des pratiques spatiales, sous l’angle de la mobilité sociale et identitaire générationnelle au sein de la communauté turque en France. Cette analyse s’appuiera sur les données d'une enquête de terrain, incluant des observations participantes et des entretiens semi-directifs, menée dans la région lyonnaise entre 2019 et 2023 auprès de la communauté turque.

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Transmission de normes d'insularité à l'épreuve d'émigration improvisée : cas de l'émigration de São Tome au Portugal

Aires Bruzaca de Menezes et Pascal Bernard Hug

Avec l'entrée en vigueur de la Loi 18/2022 et du Décret n° 4/2022, le Portugal a réformé les conditions d'immigration pour les citoyens de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP), y compris ceux de São Tomé et Príncipe (STP). Cette réforme, dans le cadre de l'« Accord de Mobilité de la CPLP » de 2021, facilite la circulation avec des visas simplifiés et l’octroi automatique d'une autorisation de séjour d’un an pour travailler et étudier au Portugal.

La nouvelle législation offre de nouvelles opportunités aux citoyens de STP, entraînant une forte augmentation de la migration vers le Portugal en raison des difficultés socioéconomiques à STP. Bien que les liens historiques aient toujours favorisé cette migration, l'ampleur actuelle est sans précédent. Il s’agit de comprendre ces flux migratoires récents et leurs conséquences dans les sociétés de départ et d’accueil, en dépit de toute mystification institutionnelle.

Notre recherche montre comment cette émigration récente, sans tradition migratoire, se fait d’une part de manière quasi improvisée, avec peu de contraintes juridiques et financières, et, d’autre part, se structure à travers des normes sociales et culturelles façonnées par l’insularité. Elle s’inscrit ainsi dans les rationalités weberiennes (en finalité, valeur, émotion et coutume), aussi bien à STP qu’au Portugal. L’économie de STP, petit État insulaire, se caractérise par une grande vulnérabilité,
souvent compensée par la cohésion socio-culturelle et le fort contrôle social, garantissant la transmission des normes sociales sans exclure la débrouillardise, l’innovation socio-économique et culturelle et l’ouverture au monde.

L’émigration galopante, la volonté de partir à tout prix, engendrent de nouvelles formes de vulnérabilité. Elles mettent en péril la transmission des normes et valeurs, notamment avec l’amputation de la parenté : les enfants en bas âge sont souvent confiés aux grands-parents. S’y ajoute le risque de déclassement, de prolétarisation et de marginalisation dans la société d’accueil.

Comment les émigrés font-ils face aux défis d’intégration au Portugal, tout en risquant de perdre le lien avec leur société d’origine ? Comment les débuts d’une diaspora se forment ? La présente recherche d’anthropologie sociale et économique s'intéresse aux effets de stratégie (M. Crozier) et de structure (R. Bastide). Elle étudie des itinéraires des acteurs sociaux et cherche à montrer comment les émigrés mobilisent des « modèles de résolution de problèmes » pour maintenir la transmission des normes socioculturelles entre société de départ et société d’accueil.

Au cœur de ces « modèles de résolution de problèmes » se trouvent les normes de l’insularité, les savoir-faire insulaires exportables, non sans ambivalence, qui font preuve d’élasticité situationnelle et de continuité conservatrice et contraignante. Comment ces modèles intègrent les nouvelles dynamiques de la mondialisation, en termes de communication et de réseaux sociaux ? La transmission des normes est envisagée ici en tant que « fait social total » (M. Mauss). Nous montrons comment elle se fait entre rêve et réalité dans un contexte de vulnérabilité, sans histoire et tradition migratoires, contexte laissant peu de place aux raccourcis sociaux, malgré les opportunités économiques et les incitations à la consommation au Portugal.

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