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Ateliers > 10. Mémoires migratoiresJEUDI 19 JUIN 2025 16 h 00 - 18 h 00 Salle Mélusine (MSHS) Atelier 10 : Mémoires migratoires modérateur : Tony Rublon
Cartographier la Retirada Salmon Monviola Olivia La « Retirada » symbolise l'exode de près de 500 000 républicains espagnols vers la France en 1939, à la fin de la guerre civile espagnole. De la fin du mois de janvier au début de février 1939, la zone frontalière entre l’Espagne et la France a vu défiler des milliers de femmes, d’enfants, de personnes valides et blessées, de militaires et de civils. Cet événement témoigne des conséquences dévastatrices de la guerre sur les populations et demeure un fait emblématique des flux migratoires européens. Cartographier la Retirada offre la possibilité de retracer les chemins d'exil, d'explorer les conditions d'accueil, notamment dans les camps de rétention en France, et d'éclairer l'impact de cet exode sur les communautés locales (comme Argelès-sur-Mer, qui comptait alors 2 500 âmes). En rendant visibles les mémoires individuelles et collectives de cet événement, souvent en marge des récits historiques dominants, ce projet cartographique contribue à une meilleure compréhension de cette période sombre. Effectivement, nous assistons depuis quelques années à une relecture de l’exode républicain espagnol qui prend en compte des perspectives plus spécifiques, comme la question du genre. Au-delà de sa dimension historique, la Retirada incarne une mémoire vivante pour de nombreuses familles et communautés, en particulier grâce aux associations mémorielles. Celles-ci s’attachent à maintenir les traces vivantes (sous toutes leurs formes) des destins et des destinations de leurs aînés. La cartographie de ces lieux et itinéraires offre un moyen de préservation et de transmission de cette mémoire collective. En effet, le silence imposé autour de ce phénomène migratoire majeur est un des déterminants d’une blessure ontologique au sein des familles. Par ailleurs, durant de nombreuses années, le traitement institutionnel de l’exode des républicains espagnols en France ne prenait pas en compte la dimension humaine. Cependant, une enquête que j’ai réalisée pour une étude précédente témoigne de l’urgence de transmettre à leurs descendants la mémoire de ceux qui ont vécu l’exil républicain espagnol. La cartographie de la Retirada repose sur des méthodes géo-historiques, combinant l’étude d’archives (photographies, correspondances, témoignages oraux) aux outils de la cartographie (qu’elle soit numérique ou papier). Ces outils permettent d’intégrer le passé dans le présent, en visualisant les parcours d’exil et les lieux d’accueil. Enfin, La « Carte » est un dispositif muséal (le musée de l’immigration de La Jonquera en est une illustration » à des fins pédagogiques qui offre des perspectives fécondes dans l’analyse de la Retirada. --- La maison ancestrale comme « lieu de mémoire » : la patrimonialisation et la transmission de la mémoire migratoire d’une famille d’émigrés chinois Joan Du Bien que les définitions et les attitudes à l’égard des émigrés chinois oscillent entre interdiction et encouragement, entre « traîtres » et « patriotes », les musées des Chinois d’outre-mer – selon le terme employé officiellement –, apparus massivement depuis le milieu des années 1980 (Wang, 2021), utilisent presque le même récit pour raconter cette histoire de l’émigration chinoise. L’été 2023, j’ai entamé une première enquête de terrain dans les foyers des diasporas chinoises en Chine : Quanzhou, dans le sud-ouest du Fujian, et Shantou, dans le nord-ouest du Guangdong. Après plusieurs visites des musées des Chinois d’outre-mer dans ces villes, je me demande s’il existe un récit alternatif autre que le récit officiel ? Ou si les migrants ordinaires non élitistes, souvent absents dans les musées, déploient-ils des efforts similaires pour patrimonialiser leur histoire et mémoriser cette histoire de migration ? À travers une enquête préliminaire sur une famille de Chen du district de Yongchun, à Quanzhou, dont l'histoire est marquée par quatre générations de migration, cette communication vise à montrer comment les mémoires familiales et migratoires sont transmises et concrétisées autour de la maison ancestrale. Elle met en avant les relations étroites entre l’histoire de la famille, de l’émigration et du pays. Enfin, autour d'un "événement" - la reconstruction de la maison ancestrale détruite par une catastrophe naturelle – cette communication tente de révéler comment la diaspora est mobilisée dans cette "reconstruction" et comment la patrimonialisation des mémoires migratoires peut être à la fois localisée et délocalisée. --- La fin du modèle suédois : répercussions sur la transmission et la préservation des mémoires palestiniennes et kurdes en diaspora Fanny Christou Les migrations sont souvent appréhendées comme des crises, à l’instar de celle de 2015, que chaque réforme européenne et nationale cherche à encadrer, en renforçant un principe de sécurisation de ses frontières. Ces registres de « crise » justifient la mise en œuvre de politiques liant migration et sécurité, bien loin des valeurs normatives que le vieux continent souhaite développer, et dans le sillage d’un processus de « frontiérisation ». La Suède est à ce titre un cas d’étude particulièrement intéressant. Alors que l’année 2014 est marquée par le discours de l’ancien Premier ministre suédois Reinfeldt « ouvrez vos cœurs aux demandeurs d’asile », 2018 est la première élection suédoise où la migration est devenue une question centrale dans le débat, suite à l’adoption de mesures restrictives par le Parlement suédois en 2016. Depuis, l’évolution rapide de l’agenda politique migratoire suédois, ainsi que la politique étrangère menée par le gouvernement suédois, notamment en lien avec les récents développements au Moyen Orient, semblent clairement signer la fin du modèle suédois de social-démocratie à travers l’apparition de frontières multiples. Ainsi, en nous basant sur l’exemple suédois, nous souhaitons montrer comment des frontières géopolitiques peuvent devenir des frontières sociales, en regardant de près les stratégies de mobilisation de groupes en diaspora au sein d’un même espace, et leurs rôles dans la préservation des mémoires collectives et des formes de transmission au fil des générations et des lieux d’exil. A cet égard, en s’appuyant sur une étude ethnographique menée auprès des diasporas palestiniennes et kurdes en Suède, cet article vise à fournir des éléments clés de compréhension pour analyser les effets des politiques migratoires suédoises sur les processus de mobilisation pour maintenir les formes de transmission et de mémoire. En questionnant l’exercice de la biopolitique dans le contexte socio-politique suédois depuis la crise migratoire dite de 2015, nous cherchons à analyser comment le processus de sécurisation des frontières à différentes échelles en Suède résonne sur la structuration temporelle et spatiale des transmissions de ces diasporas. Nous souhaitons ainsi mettre en évidence comment s’inscrivent les mémoires palestiniennes et kurdes en Suède, dans le temps et dans l’espace, dans le sillage d’un contexte marqué par la fin du modèle suédois. Enfin, il s’agit d’interroger si la fin de ce modèle de social-démocratie contribue ou non à l’apparition de fragmentations et de compétitions diasporiques en Suède --- La (re)configuration d’un espace de vie transnational par la (non)transmission de l’histoire migratoire : une affaire de famille ? Francesca Di Donato Actuellement en deuxième année de doctorat en sociologie, je souhaite vous soumettre une proposition de communication issue de ma thèse, entamée en 2023 dans le cadre du programme de recherche IMHANA. À l’occasion de cet événement, je propose d’explorer les discontinuités dans la transmission familiale, en m’intéressant à la manière dont les récits de vie issus de ces discontinuités révèlent des négociations identitaires et des repositionnements au sein de la famille. En inscrivant cette réflexion dans l’axe « Circulations et transmissions » de votre appel, je questionne le rôle de la transmission en tant que processus de socialisation initial. Ce processus débute par la communication des expériences vécues par un membre de la famille, qui sont ensuite partagées avec d’autres membres (Rachedi, 2009), et joue un rôle central dans l’identification de l’individu au sein de l’espace familial. Comment, à partir de cette identification, les individus (re)construisent leur rapport à l’histoire familiale et aux lieux de circulation de la famille ? En me positionnant à l’échelle de la famille, je souhaite mettre en dialogue la construction d’un espace de vie transnational (Miret et Lacroix, 2021) avec les processus de transmission de l’histoire migratoire, tout en soulignant le rôle des différents membres de la famille transnationale (Baby-Collin et Razy, 2011). Pour approfondir cette question, je mobiliserai le témoignage de Miryam, petite-fille de grands-parents espagnols, qui habite en Creuse et a décidé d’interroger des membres de sa famille, caméra à l’appui, afin de rompre le silence qui persiste depuis la génération de ses grands-parents. La circulation entre la France et l’Espagne, ainsi que les rencontres avec divers membres de sa famille, dont un cousin éloigné andalou, lui ont permis de « se positionner », selon ses propres termes, dans l’espace familial. Ce processus n’aurait pas été possible sans l’implication de certains membres collatéraux, capables d’actualiser et de faire vivre la mémoire familiale (Fogel, 2007). On peut également observer cette implication des différents membres de la famille dans le cas de Marc, descendant de troisième génération de migrants italiens, qui, en se rendant en Italie, a récolté, grâce à l’aide d’une sœur de sa grand-mère, des informations pour construire l’arbre généalogique de sa famille d’origine. La démarche généalogique résulterait d’un besoin de reconstruire les traces familiales à partir d’une position marginale par rapport au passé et aux ancêtres, mais également d’une tentative de se réapproprier les informations familiales (Bertaux-Wiame, 1988). Depuis cette position marginale, ces descendants circulent, même de manière sporadique, entre les lieux marquant le parcours migratoire d’une partie de leur famille. En interrogeant les processus de transmission verticale et horizontale, on peut ainsi analyser la (re)configuration d’un espace de vie transnational au fil des générations. |