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Ateliers > 8. Littérature et expériences migratoires : transmission, éthique et compréhension des mobilités contemporainesMERCREDI 18 JUIN 2025 16 h 00 - 18 h 00 Salle des conférences (MSHS) Atelier 8 : Littérature et expériences migratoires : transmission, éthique et compréhension des mobilités contemporaines modérateur : Daniel Senovilla Hernández (Atelier en lien avec la sieste scientifique 1 : Deux voix pour dire l’exil)
Cette Table Ronde / Atelier est associée à une proposition d’organisation d’un deuxième acte sous forme de sieste scientifique où plusieurs jeunes auteurs de livres de récits migratoires ou de poèmes sur l’expérience de l’exil seront invités à lire des extraits de leurs créations et proposeront une discussion ouverte sur différents sujets : pourquoi écrire et quel sont les apports de l’expression littéraire; l’importance de dénoncer les violences et abus qui vivent les personnes en migration; la transmission et la sensibilisation à différents publics des enjeux de l'expérience migratoire, etc. Présentation de la Table Ronde / Atelier La publication de textes littéraires sur l'expérience (propre ou transmise) de personnes en situation de migration a connu un essor considérable au cours des 15 dernières années (Mohammadi, 2009 ; Geda, 2011 ; Umar, 2019 ; Cabrel & Longeville, 2020). En ligne avec cette dynamique, l'Observatoire de la Migration des Mineurs (OMM), du centre de recherche Migrinter, a commencé à publier des textes de jeunes migrants à partir de 2020, dans la collection « Ces récits qui viennent », lancée en partenariat avec la maison d'édition Dacres (Ngatcheu, 2020 ; Fadiga, 2020 ; Toukam Junior, 2021 ; Kamerun, 2022) puis en édition universitaire en accès libre (Attoumani, 2022 ; Diallo, 2024). Si les représentations sur les migrations font l’objet de nombreuses analyses et discours de la part des acteurs politiques, médiatiques, associatifs et académiques souvent « extérieurs » à l’expérience de l’exil, on laisse en général peu de place à l’expression de la parole et aux perceptions de ses protagonistes. Comme le signale Alhouseine Diallo (2024, p. 51) « Nous - personnes migrantes - sommes des sans voix. Nous avons besoin de personnes qui nous écoutent, nous défendent, sans rien attendre en retour. C’est aussi pour transmettre ce message que je fais ce livre ». Il exige que ceux qui se présentent comme défenseurs des droits des migrants « cessent de parler à notre place » (ibid.). En utilisant le registre littéraire, les jeunes personnes en migration redeviennent les gardiens de la transmission de leurs récits. Elles peuvent partager leur expérience en évitant la crainte d’être jugées, catégorisées ou évaluées. Au-delà de notre volonté de faire entendre la parole des personnes « sans voix » (Amar et al., 2021), nous nous interrogerons aussi sur ce que ces récits nous apportent en termes de compréhension et de connaissance des mobilités actuelles, leurs apports à la littérature contemporaine et la perception des auteurs sur l’impact des mots pour désigner les personnes en migration qui les stigmatisent et rabaissent. Il y a bien entendu le désir de transmettre, de dénoncer, d’informer, de déconstruire les discours médiatiques et politiques (Hernández Gómez, 2023) qui se focalisent sur les aspects négatifs et, en même temps, d'utiliser l'écriture et l'expression pour se sentir mieux, pour éviter les mauvaises tentations, la colère, la folie, voire les tendances autodestructrices (Senovilla dans Diallo, 2024). Certains auteurs intègrent à ces objectifs une dimension purement esthétique, celle de la création et de l'expression artistique, qu'ils lient à leur parcours migratoire, bien que ce ne soit pas leur unique sujet littéraire. En outre, ces nouvelles voix, “qui viennent” à l’écriture, modifient le champ littéraire lui-même, l’informent, dans les différents sens du terme. Notre proposition de table ronde/ atelier s’inscrit dans une démarche de recherche et cocréation avec le public migrant et correspond en principe à l’axe 3 de l’appel à communications, en apportant aussi des éléments de compréhension propres aux axes 1 et 2. Elle se décline dans les interventions suivantes : --- Traduire sans trahir : ethos et éthique dans la traduction des récits migratoires Carmen Alberdi Urquizu Tout comme la traduction de la littérature europhone postcoloniale, la traduction de récits issus de la migration illustre l’importance -et le défi à relever pour la traduction- d’une “éthique de la différence” (Venuti 1998), évitant le double écueil des tentations paternalistes d’une traduction “en épaisseur” (Appiah 1993), d’un côté, et, de l’autre, l’ethnocentrisme d’une domestication glottophagique et déculturisante (Zabus, 2007), qui priverait le texte source de toute sa valeur. Manifestation -voire revendication- d’un ethos particulier (Amossy, 2010), la parole qui se déploie dans ces récits se caractérise par des techniques narratives rappelant celles des griots -adresses au lecteur, proverbes, dictons-, par des traits d’oralité comme ceux qui ont été mis en évidence par les analyses interactionnelles (Kerbrat-Orecchioni, 2005; Traverso, 2016) -dislocations à gauche et à droite, structures interrogatives SVQ, “petits mots de l’oral”- par des xénismes et des phénomènes d’hybridation linguistique, à l’instar du “tiers code” ou “code métissé” décrit par Bandia (2006). Afin de déjouer l’adage classique (Traduttore, traditore) et de faire vraiment connaître l’expérience de la migration au-delà des frontières linguistiques, la traduction de ces récits appelle de tous ses voeux une éthique bermanienne, qui “consiste à reconnaître et à recevoir l’Autre en tant qu’Autre” (Berman, 1999: 88), à lui restituer sa parole telle qu’elle est et à la transmettre fidèlement, tant dans ses intentions que dans son idiosyncrasie. --- Ces récits qui viennent : secousses narratives, secousses éditoriales Marie Cosnay et María Hernandez Gómez Cette communication se consacrera à l'examen de la spécificité des témoignages littéraires de migration dans la littérature contemporaine, en particulier ceux issus des parcours migratoires d'individus jeunes, souvent isolés. Le corpus analysé propose des récits profondément enracinés dans l’expérience vécue, tout en interrogeant également les écritures contemporaines qui s’inscrivent dans la tradition de la littérature du réel. L'objectif sera d'explorer comment ces récits de migration contribuent à la formation d’un nouveau pan de la littérature contemporaine, non seulement à travers leur contenu, mais aussi par les modalités de leur narration. Nous chercherons à comprendre comment ces témoignages forment un ensemble à la fois collectif et profondément individuel, par la création personnelle. La présentation abordera la question cruciale de l’accueil des récits de migration. Si l’accueil des personnes migrantes constitue déjà un défi complexe, celui de leurs histoires se révèle tout aussi difficile. Ces récits, bien qu’imprégnés d’une richesse inédite, se heurtent à des obstacles d’ordre culturel, social et institutionnel (Brouillette, 2007, Combierati, 2015, Geiser 2016, Sapiro 2009). Il est dès lors essentiel de réfléchir aux modalités d’accueil de ces témoignages, non seulement comme des récits de vie, mais également comme une forme d’expression littéraire pleinement validée, capable de contribuer à la construction d’une mémoire collective des migrations contemporaines, et, de ce fait, possédant une valeur à la fois littéraire et politique (Nous, 2018). --- Donner place aux voix Catherine Milkovitch-Rioux, Nathalie Vincent-Munnia Dans une perspective complémentaire, cette intervention analysera un autre type de transmission littéraire de l’expérience migratoire, celui de la poésie, à valeur, là encore, esthétique et politique. Les textes poétiques écrits par des jeunes en migration constituent en effet un mode de transmission de voix autres (Falmarès, Youssif Haliem, Hassan Yacine…). En outre, des auteurs et autrices françaises, parfois elles-mêmes descendantes de familles migrantes, travaillent à transmettre un discours à la fois poétique et politique, à partir, notamment, de voix de jeunes migrant.e.s (Nadège Prugnard), voire de collectes effectuées sur des campements (Coffret Réfugier [Carnets d’un campement urbain]), jusqu’à donner aux réfugié.e.s un statut épique et chevaleresque (Claude Favre). On pourra de plus s’interroger sur les modes de transmission matérielle de cette poésie : diffusion éditoriale, mais aussi « poésie sans papier », écrite sur téléphone, performée, postée en ligne, dans la précarité du mouvement migratoire. En outre, si ces créations peuvent donner voix, elles visent également à donner place : dans cette « des places » qui caractérise l’organisation sociale contemporaine (Michel Lussault, 2009), la poésie relève d’une « littérature-refuge » (María de los Ángeles Hernández Gómez, Catherine Milkovitch-Rioux et Nathalie Vincent-Munnia, 2024), qui abrite des voix diverses, qui met en scène des parcours de migration, mais qui imagine aussi des formules pour habiter le monde ; littérature inscrite dans le réel, qui offre au fond des modalités de « refuge ». --- Éléments de compréhension des migrations contemporaines à partir des récits littéraires de personnes en exil Daniel Senovilla Hernández Les récits littéraires, ainsi que d’autres supports artistiques favorisant la co-construction du savoir (Senovilla, 2021), nous permettent d’avoir accès à une parole pure et non filtrée par rapport aux enjeux de l’expérience migratoire exprimée avec les mots et les perceptions de ses protagonistes (Bertaux, 1997 ; Kohli, 2005 ; Spyros, 2011). De la description des conditions de départ et des raisons qui poussent à migrer, aux mésaventures, souffrances et débrouillardises du voyage, les organisations complexes et hiérarchisées existantes en zones pré-frontalières, l’attente et désarroi en zones post-frontalières, et les incertitudes, désillusions et quelques réussites de la vie en Europe, les témoignages de récits migratoires seront mobilisés et mis en contraste avec la littérature académique en particulier pour dénoncer l’incohérence et les dégâts qu’implique l’application des normes de gestion des migrations contemporaines (Bhabha, 2009 ; Kobelinsky, 2010 ; Sigona, 2014 ; Senovilla, 2019). |