Colloque international - MIGRINTER a 40 ans
17-19 juin 2025 POITIERS (France)

Ateliers > 4. Stratégies d’adaptation

MARDI 17 JUIN 2025

16 h 00 - 18 h 00

Salle Mélusine (MSHS)

Atelier 4 : Stratégies d’adaptation

modératrice : Florence Boyer

Montrer le chemin, transmettre un mode d’action migratoire. Saisir les « caravanes de personnes migrantes » à la lumière des mémoires et imaginaires collectifs, Sud du Mexique

Romain Busnel

12 octobre 2023 : Nestor est assis sur une des tables à l’ombre de la place du bicentenaire de Tapachula, ville mexicaine située à une vingtaine de kilomètres du Guatemala. Patiemment, il tient le registre des personnes qui vont partir avec la « caravane » de personnes migrantes, dont le départ est prévu le 30 octobre prochain. Mais plus que d’enregistrer les personnes, Nestor parle et discute avec les personnes migrantes qui, dans l’attente de papiers depuis plusieurs semaines ou mois, cherchent à sortir de cette ville où environ 60 000 personnes comme elles restent dans l’attente. Fort de ses nombreux voyages réalisés entre le Honduras, le Mexique et les Etats-Unis en tant que migrant ou militant, sans ou en caravane, Nestor donne à ses congénères un avant-gout du trajet. Autant il prévient les un-es et les autres des difficultés qui les attendent sur la route (chaleur, faim, soif), autant il ne peut s’empêcher de transmettre la joie du collectif et de la caravane. En effet, à mesure qu’il explique le trajet et exhume ses propres souvenirs, il vient leur donner chair en ressortant sur son téléphone des clips, chansons et vidéos réalisés par des journalistes et des personnes migrantes pendant ou à la suite des grandes caravanes de 2018 qui avaient vu partir près de 8 000 personnes du Honduras pour rejoindre en trois semaines la frontière avec les Etats-Unis. Devant lui, plusieurs familles l’écoutent attentivement, parfois admiratives, pendant que d’autres personnes, qui ont vraisemblablement connu une expérience similaire, acquiescent silencieusement à ces propos.

Comment se pérennise un mode d’action migratoire ? A partir le cas des « caravanes », un mode d’action qui consiste à réunir plusieurs centaines ou milliers de personnes pour s’extraire de la frontière sud du Mexique, cette communication entend placer au centre des débats les transmissions des savoir-faire et expériences de personnes migrantes qui transitent entre l’espace méso et nord-américain. Plutôt que de saisir la mémoire de l’action collective au prisme de sa territorialité ou du rôle des entrepreneurs de mobilisations, il s’agit ici de remettre en perspective comment l’expérience des mobilités se transmet dans les espaces de transit entre les personnes migrantes elles-mêmes, dans l’attente, les sociabilités et l’intime au quotidien. Cette transmission est alors rendue possible par l’espace de mise en attente, les situations constantes d’exil des pays centroaméricains et les nombreuses expulsions du territoire étasunien qui diffusent la circulation des expériences migratoires du Sud vers le Nord mais aussi du Nord vers le Sud.

Cette recherche s’appuie sur une enquête ethnographique de suivi d’une caravane de personnes migrantes partie le 30 octobre 2023 du Sud du Mexique. Elle met en lumière les ressorts du recours à ce mode d’action, jamais linéaire et donné d’avance tant il entre en tension sur la route avec d’autres manières de mener à bien sa mobilité (recours aux cars ou trains de marchandises, utilisation des transports publics en contournant les points de contrôle), elles aussi transmises dans les différents espaces traversés.

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Stratégies d’adaptation ou de contournement des familles migrantes et/ou mixtes face aux contraintes réglementaires intégrées à une dynamique des rapports sociaux

Laura Odasso et Catherine Delcroix

En France, les liens familiaux » ouvrent l’accès au droit de séjour, à la nationalité et aux droits sociaux qui en dérivent. Pourtant, depuis trois décennies, les études migratoires montrent que le « faire famille en migration » est un véritable parcours du combattant dû aux durcissements des politiques, au nom de la « bonne » reproduction nationale (Fillod-Chabaud et Odasso, 2021).
Dans la suite de ces travaux fondateurs, cette contribution interroge les stratégies que les migrant.es déploient pour s’adapter, contourner, voire transformer ce droit. Il s’agira : - d’identifier quelles ressources subjectives – construites par des transmissions intergénérationnelles ou horizontales (Bertaux et Delcroix, 2009) – se transforment en capital d’expérience biographique (Delcroix, 2004) et, ainsi, réactivent le pouvoir d’agir des familles confrontées au dispositif migratoire. - d’éclairer comment les normes juridiques et sociales propres à la migration familiale renforcent ou au contraire modifient la dynamique des rapports sociaux de genre, de générations, de race et de classe.
En quoi, le droit et (re)façonnent-il les rapports intergénérationnels au sein des familles migrantes quand les enfants « régularisent » les parents ? Comment l’asymétrie de statuts entre les partenaires des couples binationaux influe-t-elle sur leur légitimité pendant les formalités administratives ? Comment celles-ci redessinent-elles les positions sociales dans le couple ?
Comment les rapports de racisation et de genre participent-ils de la circulation des informations juridiques et pratiques auxquelles les migrant.es accèdent en ligne et hors lignes afin de s’en sortir ?
Pour répondre à ces questions, nous mobilisons des récits croisés de membres de familles migrantes et mixtes issues de nos recherches et de celles du groupe Migreval1. Nous en proposons une analyse qui articule l’approche intersectionnelle avec la méthodologie de l’évaluation des politiques par les migrant.es et leurs descendant.es qui permet de comprendre « l’impact cumulé des politiques ainsi que leurs effets sur une longue période » (Apitzsch et al. 2008, p.13) en analysant les stratégies individuelles et collectives qu’ils/elles développent pour surmonter les défis liés à leurs situations (Delcroix et al., 2021).

Ainsi, à la croisée de la sociologie de migration, de la sociologie des rapports sociaux et de la sociologie du droit, cette communication propose, ainsi, une lecture « par le bas » du régime migratoire (Pape et al., 2021) et éclaire comment les normes (trans)forment les familles et les rapports sociaux entre leurs membres à l’aune de transmissions diverses.
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1 Le groupe de recherche Migreval, fruit de la collaboration entre l’UMR « Migrinter », l’Université de Strasbourg et l’Université Goethe de Francfort, a construit une base de données collaborative regroupant des récits de vie de migrant.es, descendant.es de migrant.es, et professionnel.les chargés de leur intégration et de politiques.

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La construction de savoirs géographiques au fil des trajectoires migratoires et des parcours d’errance : le cas d’exilés mis en situation d’errance par les politiques migratoires européennes

Annaëlle Piva

La sécuritisation et l’externalisation des politiques de frontières européennes ont fragmenté les trajectoires migratoires de nombreux exilés (Collyer, 2010 ; Shapendonk, 2009). Ces trajectoires transnationales, à l’échelle européenne, se caractérisent par des aller-retours, des transferts liés à l’application du Règlement Dublin1, des séjours dans des systèmes de prise en charge institutionnel de différents pays et sont marquées par des phases d’(im)mobilité (Degli Uberti, 2021). Ces trajectoires
articulent des lieux de vie temporaires et précaires, institutionnels ou non, comme des centres d’hébergement, des squats, des hébergements solidaires ou contre rétribution, ou encore des campements (Doyen et al., 2023) et nombreux sont ceux qui traversent des expériences de sans-abrisme accumulées (Belloni & Massa, 2022).

Cette communication est issue d’un travail de thèse en géographie portant sur l’errance des exilés dans les espaces urbains parisiens et romains. La thèse interroge notamment les reconfigurations multiples dont les trajectoires migratoires sont l’objet face à différentes limites administratives et matérielles posées tant à la présence qu’à la mobilité des exilés. Cette communication est basée principalement sur des données ethnographiques relatives à des récits de trajectoires migratoires et résidentielles d’hommes exilés rencontrés dans les campements parisiens et romains.

Je propose d’examiner la manière dont les savoirs géographiques sont construits et participent à déterminer les trajectoires migratoires. Ces savoirs sont définis comme un ensemble de connaissances relatives à l'espace et au milieu, intégrées via des processus cognitifs (stocker, apprendre, mémoriser, mobiliser, appliquer…) (Staszak, 1996). Tous les exilés développent des savoirs géographiques singuliers, situés, qui s’accumulent et se complexifient tout au long de leurs trajectoires. Ces savoirs sont basés sur leur propre expérience des lieux, la convocation de leurs imaginaires spatiaux, mais aussi sur les informations dispensées par leurs pairs. Ils leur permettent notamment d’évaluer les potentialités d’un lieu, de décider, en accord avec leurs aspirations migratoires et relativement à leurs moyens économiques et aux contraintes posées par les politiques des frontières, s'ils poursuivent leur route ou non.

La communication montre comment ces savoirs géographiques, aux côtés d’autres facteurs, participent à déterminer et structurer les trajectoires. En effet, en intégrant un ensemble de connaissances géographiques, les exilés précisent, formulent ou reformulent leurs aspirations migratoires. Ils peuvent gagner une meilleure compréhension du fonctionnement des infrastructures migratoires, mais aussi mieux saisir leur complexité (Xiang & Lindquist, 2014). Enfin, ces savoirs géographiques et participent à nourrir les communs de la mobilité, soit les savoirs invisibles de la mobilité circulant entre les personnes en migration (Papadopoulos & Tsianos, 2013).

  1. Le Règlement Dublin désigne le pays européen responsable d'examiner une demande d'asile, généralement le premier pays d'entrée du demandeur déterminé notamment par l’enregistrement de ses empreintes dans le système « Eurodac » (European Dactyloscopy) par la police.

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(Re)créer des liens en exil : renforcement des rôles genrés au sein de familles syriennes réinstallées dans les Hauts-de-France

Elsa Maarawi

À la suite du soulèvement populaire en Syrie en 2011 et de sa répression par le régime d’al-Assad (1970-2024), des millions de Syrien·nes ont été contraint·es de fuir, se réfugiant principalement dans les pays voisins (Liban, Turquie, Jordanie) et au-delà (Europe, Afrique du Nord…). Parmi ces personnes, environ 240 000 ont été réinstallées par le Haut-Commissariat aux Réfugiés, dont 17 000 en France. Ainsi, plusieurs dizaines de familles se sont installées dans le Nord de la France, empruntant de nouvelles routes migratoires, souvent indépendantes de réseaux sociaux ou familiaux préexistants

Ces familles, majoritairement issues de milieux sociaux populaires, ont d’abord cherché à se rapprocher d’autres Syrien·nes pour recréer un espace d’entre-soi fondé sur une langue et une nationalité communes. Les structures qui régissaient les rapports sociaux de genre, de classe et d’âge dans le pays d’origine ayant été bouleversées par le déplacement, comment les normes sociales associées à ces rapports se transmettent-elles et circulent-elles dans ce nouvel espace de vie ?

Dans cette intervention, j’aborderai tout d’abord l’expérience de la réinstallation en tant que processus de déracinement pour les personnes confrontées à un environnement où la langue, le système de protection sociale, les rapports au politique, à l’éducation et à la santé diffèrent profondément de ceux de la Syrie. J’examinerai ensuite comment cette expérience particulière les incite à se regrouper en fonction d’affinités liées à leurs origines géographiques, religieuses, sociales et politiques. Enfin, j’analyserai les effets de ces regroupements sur la reconfiguration des normes sociales du pays d’origine, en montrant comment certaines de ces normes sont réinvesties pour recréer un environnement familier en exil et en particulier les rôles différenciés des hommes et des femmes, et la transmission de ces normes aux enfants selon leur sexe et leur place dans la fratrie.

Cette communication s’appuie sur une enquête de terrain réalisée en 2022-2023 dans le cadre d’un doctorat en sociologie, par entretiens et observations avec 20 familles résidant dans les Hauts-de-France.

 

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